Hommage à Jacques Puisais (1927-2021)
Scientifique, gastronome, philosophe et humaniste, « pape du goût », homme de goût, les mots pour décrire Jacques Puisais ne manquent pas. Nous retiendrons surtout le « philosophe du goût , du goût juste ». Il avait compris avant tout le monde l’importance fondamentale de ce que nous mangeons.
Jacques Puisais a consacré sa vie à concevoir une pédagogie pour réapprendre aux enfants à goûter, à nommer leurs sensations et à s’émanciper des goûts « préfabriqués ».
Ironie du sort, il fait partie des nombreuses victimes du virus Covid19 , lui qui incarne à la fois une opposition farouche aux absurdités d’un systéme qui nous pousse vers toujours plus d’uniformité, d’industrialisation , d’inhumanité et qui a passé sa vie jusqu’au bout, je cite, « à tenter de comprendre comment nos sensations nous façonnent et nous structurent ».
Il est décédé le 6 décembre dernier, le jour de la Saint Nicolas.
Autre ironie du sort, Jacques Puisais tire sa révérence la semaine où le journal Libération a consacré sa une à la viande en laboratoire, dans laquelle ont investi tous les milliardaires du numérique. Une création, officiellement au nom de la préservation de la planète et du bien-être animal, dont le véritable but est de nourrir en protéines artificielles des humains définitivement privés de tout lien avec le cycle du vivant.
Il est resté fidèle à la région où il a commencé sa carrière professionnelle, la Touraine, le pays de Rabelais où, à l’image de l’abbaye de Théléme, on peut penser qu’il y aura toujours un endroit pour abriter et perpétuer cette vision d’homme de goût et continuer à cultiver tout simplement l’art d’être humain .
Son parcours, sa philosophie
Alors qui était Jacques Puisais ? Né à Poitiers, (région Nouvelle Aquitaine) en 1927, d’un père représentant en vins, Jacques Puisais a entrepris des études scientifiques, et est devenu docteur ès sciences spécialisé dans la chimie analytique.
Il s’installe à Tours en 1959. Il dirige alors le laboratoire départemental et régional d’analyse et s’intéresse aussi bien au lait qu’aux pommes et surtout au vin. Ses premiers cours d’éducation du goût ont lieu en 1964 et nombreux sont les restaurateurs qui viennent le rencontrer. On citera, entre autres, Pierre Troisgros et Alain Senderens.
Jacques Puisais fonde l’Institut français du goût en 1976. Membre, expert ou président d’une bonne vingtaine d’organisations influentes, dont l’INAO (Institut National de l’Origine et de la qualité), Jacques Puisais est très écouté dans le monde du vin et de la gastronomie.
Sa philosophie , les valeurs qu’il défend le rapprochent de celles défendues par Slow Food : le. bon, le propre , le juste.
La traçabilité, les circuits courts, la lutte contre l’industrialisation de l’agriculture, la nécessité de l’homme à s’intégrer dans le cycle du vivant , tout cela était présent dans ses réflexions depuis les années 1970, le tout conçu autour d’une pensée profondément humaniste.
« A condition d’être ouvert et humble, la vie est un festin. » C’est ainsi qu’il a vécu. Jusqu’à ses derniers jours, Jacques Puisais, qui avait fait du goût juste le combat de son existence, a toujours continué ses travaux et adopté une ligne de vie d’ouverture aux autres et d’humilité . Et d’intervenir au sein de son Institut du goût. Les papilles en alerte, il était capable de différencier, grâce à la tendreté de la viande, un gigot gauche d’un gigot droit : « Ils ne racontent pas la même histoire, précisait-il. Tout dépend de quel côté l’animal se couche ! ».
Créateur des classes du goût
En 1974, il crée les classes du goût dans les écoles pour enseigner aux enfants à goûter, comme on leur apprend à lire ou à écrire.
Il a élaboré une méthode pédagogique fondée sur l’éveil sensoriel, réveillant en chacun , ses cinq sens. L’éducation nationale a suivi ses préconisations et a appliqué cette méthode, de 1984 à 2000, dans les écoles.
Puis après une période de semi oubli, il semble que le Ministère de l’Education nationale marque sa volonté de relancer les classes du goût avec l’ANEGJ (Association nationale pour l’éducation au goût des jeunes) sous l’impulsion des Draaf (représentations régionales du Ministère de l’Agriculture), qui se chargent de la promotion et de la formation des formateurs.
Les séances proposées actuellement issues de ses classes du goût :
- Séance n° 1 : les 5 sens dans la dégustation (PDF)
- Séance n° 2 : la ronde des saveurs dans le goût (PDF)
- Séance n° 3 : l’olfaction et la mémoire des odeurs (PDF)
- Séance n° 4 : la vue (PDF)
- Séance n° 5 : le toucher et l’ouïe (PDF)
- Séance n° 6 : le goût au sens large (PDF)
- Séance n° 7 : le patrimoine alimentaire – les produits du terroir (PDF)
- Séance n° 8 : l’étiquetage, les signes d’identification de la qualité et de l’origine (PDF)
L’Institut du goût
En 1976, il fonde l’Institut français du goût avec Patrick Mac Leod (directeur du Laboratoire de neurobiologie sensorielle de l’École pratique des hautes études), aujourd’hui présidé par la journaliste Natacha Polony, et dont il était devenu le vice-président (https://www.institutdugout.fr/).
« Le travail de l’Institut du Goût consiste ainsi à mêler la recherche scientifique à la réflexion pédagogique pour développer une compréhension fine des mécanismes qui sont à l’oeuvre dans l’acte alimentaire et pour préparer des citoyens responsables de leur consommation »
Sur le site on retrouve les missions suivantes :
1. diffuser des connaissances récentes sur le goût et le comportement alimentaire, en particulier grâce à des programmes d’éducation au goût.
2. participer aux avancées des sciences du goût par le biais projets de Recherche-Action dans les domaines du goût, de l’éducation sensorielle et du comportement alimentaire.
Bibliographie et rayonnement international
L’oeuvre de Jacques Puisais comporte de nombreux articles et quelques livres culte.
N’oublions pas sa double facette de défenseur du goût juste et son profil d’oenologue. Son best-seller est sans doute Le Goût juste des vins et des plats (Flammarion, 1985). Philosophe du goût, il était reconnu dans le monde entier et notamment au Japon où il était vénéré, et considéré comme un « trésor vivant ». Sa philosophie des cinq sens y était particulièrement comprise et même adoptée.
Citons également 2 ouvrages plus axés sur les enfants , Le goût et l’enfant paru en 1987 et Le goût chez l’enfant : l’apprentissage par les parents paru quelques années plus tard.
Jusqu’au soir de sa vie, il a tenu activement son blog « Le goût juste ».
Juliette Helson
Slow Food Paris Terroirs du Monde
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