Revue de presse pour réfléchir pendant le confinement.
Quelques éléments pour p[e]-[a]nser nos territoires
La crise du coronavirus touche de plein fouet la sécurité sanitaire de nos sociétés, provoque un nombre important de décès, le dépassement de nos systèmes de soin, le confinement d’une majorité de la population, l’arrêt brutal d’activités économiques, la fermeture des frontières, la réorganisation en urgence des systèmes alimentaires et ceci à l’échelle mondiale.
Pour toutes ces raisons, elle suscite une grande interrogation sur ses causes profondes et sa fulgurante propagation dans un monde globalisé et hyper-connecté.
De nombreuses sources documentaires relevées pointent la déstabilisation des écosystèmes, la surexploitation des ressources naturelles, l’industrialisation des modèles agricoles et d’élevage comme source du passage de la barrière des espèces pour ce virus. Globalisation, intensification des transports d’affaires, commerciaux ou touristiques, sont aussi mis en cause comme vecteurs rapides de contagion entre des métropoles surpeuplées.
Si cette pandémie est la première à se répandre aussi rapidement sur la surface de la planète, il y en a eu bien d’autres au cours de l’Histoire, mais la fréquence d’émergence de nouveaux pathogènes semble s’accélérer avec la déstabilisation des bio-capacités de la Terre.
Cette revue de presse, réalisée à chaud à J+20 du premier jour du confinement en France, souhaite connecter, par une approche systémique et interdisciplinaire (paysage, anthropologie, histoire, agriculture…), différentes observations et analyses que la crise du Covid-19 met à jour. En aucun cas celle-ci ne se veut exhaustive tant cet événement renvoie à une appréhension nécessairement complexe de dynamiques plurielles, à la fois sociétales et écologiques, à l’imbrication d’une multitude d’échelles et à une mise en abîme historique tout aussi éclairante sur le rapport de nos sociétés aux épidémies et aux changements socio-économiques qu’elles provoquent.
L’abondance de littérature existante sur les sujets abordés et l’accumulation de réactions impossibles à traiter en temps réel, nous font entendre les limites de la démarche dont certaines dimensions feront défaut. La quantité importante d’articles et d’ouvrages consultés ne permet pas de citer directement dans le texte leurs sources ou leurs auteurs, nous les prions de nous excuser et vous encourageons à suivre les hyperliens qui vous permettront de les lire. Toutefois, l’idée est ici d’apporter une mise en perspectives de réflexions, de susciter leur mise en débat et de porter au plus grand nombre des questions que la situation nous impose.
Réalisée par des chercheurs et des professionnels impliqués dans les politiques publiques et les stratégies d’aménagement des territoires, comprenant les territoires ruraux, cette revue de presse n’a pas pour autre ambition que d’établir des connexions entre différentes analyses de phénomènes appréhendés de manière trop cloisonnée et que la situation de crise fait apparaître pourtant comme un système relié. Les tensions sur l’alimentation sont une parfaite illustration de ces liens qui se révèlent dans l’urgence.
Il s’agit de sortir de la sidération due aux effets de la pandémie, de mettre en lien quelques-unes de ses causes, pour alimenter la réflexion sur l’après. Nous aimerions contribuer à mettre en perspective et en réflexion les choix possibles pour interroger la résistance de nos sociétés vis-à-vis de ce type d’événements qui pourraient se multiplier, notamment au regard de la crise écosystémique en cours… et aussi, réfléchir à nos dynamiques et pratiques sociales en lien avec les écosystèmes dans lesquels nous vivons, pour explorer de possibles pistes de changements.
Biosphère et globalisation, pour une approche systémique des causes de la pandémie.
En consultant les nombreux articles sur les causes de la pandémie en cours, on ne peut que constater que tout est lié, que les causes paraissent corrélées et qu’il est particulièrement instructif d’en proposer une lecture systémique pour prendre le recul nécessaire. On apprend ainsi sur et de la situation. Saurons-nous adapter nos stratégies territoriales aujourd’hui et demain ?
Nouvel acteur sur la scène internationale : un virus sauvage franchit la barrière des espèces…
De nombreuses sources documentaires pointent le monde sauvage comme réserve de virus circulant à bas bruit.
“Les chauves-souris et les pangolins se révoltent” et s’ils le font, c’est que nous les avons chassés de leurs forêts et de leurs milieux naturels.
“Les animaux qui nous ont infectés ne sont pas venus à nous ; nous sommes allés les chercher”, nous les avons chassés et vendus, nous avons détruit leurs habitats pour étendre nos villes, exploiter les ressources forestières, naturelles et intensifier les productions agricoles.
“Il faut prendre en considération le rôle de la consommation de viande et l’élevage intensif dans ces nouvelles épidémies”, nous prévient-on.
“Contre les pandémies, l’écologie”, nous le mesurons maintenant, nos politiques d’industrialisation de la production provoquent la destruction d’écosystèmes, y compris en agriculture.
La concentration, la mauvaise santé et la faible biodiversité des animaux dans l’élevage industriel semblent être des facteurs qui permettent le franchissement de la barrière des espèces, l’émergence et la diffusion des virus.
“La disparition du monde sauvage facilite les épidémies”. Ce phénomène n’est pourtant pas nouveau. Les chercheurs nous interpellent de longue date, “Des chauves-souris et des hommes : politiques épidémiques”, nous proposent de surveiller les animaux pour préparer les humains à l’émergence d’un nouveau virus de type H1N1, SRAS, Ebola, pour nous éviter “Un monde grippé”.
Contagion : de l’épidémie à la pandémie.
Le monde, certes, n’en est pas à sa première pandémie. “Peste, choléra, grippe espagnole…” ont déjà frappé nos sociétés. Aurions-nous oublié ce “que nous apprend l’histoire des épidémies ?”. Leur émergence ne fait que révéler les profondes crises systémiques déjà à l’œuvre pour modifier fondamentalement l’organisation des sociétés qu’elles traversent.
“L’Histoire de Rome serait-elle l’ébauche de notre actualité ?” Des états réputés pour leur puissance ont été ébranlés, voire abattus par l’irruption de nouvelles formes virulentes de maladies infectieuses. Reconsidérer “Comment l’empire romain s’est effondré” à la lumière des grandes épidémies, nous permet de comprendre qu’il a été bien plus efficacement disloqué par des bactéries et virus pathogènes que par des peuplades barbares.
L’“Histoire des agricultures du monde” nous enseigne comment ces crises sanitaires apparaissent et interagissent avec des crises d’autres natures : écologique, agricole, socio-économique, culturelle, politique, véhiculées dans chaque époque par les moyens de transports. Au XIVe siècle, la pandémie de peste noire accompagne le commerce, d’Extrême Orient en Europe sur la route de la soie, une Europe déjà minée par la “crise immense et multiforme, agricole et alimentaire, mais aussi économique, sociale et politique” qui la ravage depuis la fin du XIIIe siècle. La “crise agro-écologique de l’écosystème cultivé, surexploité et appauvri”, provoque des famines récurrentes, affaiblit et lamine les populations, préparant le terrain pour une pandémie ravageuse. En huit ans, plus d’un tiers de la population européenne aurait succombé à cette terrible maladie.
A la fin du XVe siècle, la découverte puis la colonisation des Amériques par les Européens provoquent un effondrement des sociétés amérindiennes. Sans protection immunitaire devant le choc viral et bactérien, elles succombent massivement à ces germes exogènes véhiculés par les colonisateurs, notamment rougeole et variole, très contagieuses. Ces épidémies déciment des populations amérindiennes dénutries et affaiblies, dont la main d’œuvre est captée et les systèmes agraires nourriciers détournés au profit d’une économie coloniale de productions agricoles destinées à l’exportation et non plus vivrières. Le démantèlement du système agricole inca l’illustre. Savamment structuré et supervisé, il assure la subsistance de l’immense empire qui l’a organisé. L’arrivée des colonisateurs espagnols provoque “l’effondrement de la production agricole, un effondrement dû à la désorganisation du système économique, social et politique inca”. Affaiblie par les disettes et sans défense face aux maladies importées par les Européens, la population amérindienne de l’empire inca déchu perd 86 % de ses effectifs entre 1530 et 1590, passant de 10 à 1,4 millions de personnes.
Cinq siècles plus tard, la pandémie qui nous occupe se répand au rythme d’une accélération et d’une intensification des flux et des mobilités, une cadence effrénée qui contamine d’abord les villes et les lieux de concentration de populations et de marchandises. La métropolisation du monde contribue ainsi, non seulement à l’émergence des pathogènes, mais aussi à leur circulation planétaire. La bourse fluctue, les avions sont peu à peu cloués au sol, l’économie s’arrête, “toutes affaires cessantes”. L’année 2020 sera une “année noire pour le tourisme mondial”. La question se pose pour “Venise au pic de la crise : comment sortir de l’ultra-dépendance au tourisme ?” De paradisiaques, “les croisières virent au cauchemar”. Nos vies se mettent à ressembler au film catastrophe de 2011, Contagion, dans lequel maladie et informations rivalisent de “viralité”. Cette proximité entre fiction et réalité est glaçante. Pris au piège dans la densité de nos métropoles hyper connectées, spectateurs confinés de la propagation mondiale tragique, nous voici suspendus au décompte macabre et quotidien des cas confirmés, rescapés et des morts sur la “carte de l’université Johns Hopkins” dont les chiffres officiels de contaminés ne reflètent pourtant pas l’ampleur réelle du phénomène.
“ Restez chez vous ”, tous confinés ! Gestion de crise et systèmes de soins dépassés.
Le premier cri face à la menace du Covid-19 a certainement été celui des hôpitaux et de l’ensemble des systèmes de soins résolument conscients du manque de moyens pour accueillir un nombre grandissant de malades. “Coronavirus : le système de santé français est-il prêt à gérer l’afflux de patients si l’épidémie s’emballe ?” La réponse, visiblement est “non”. Avec l’Italie comme exemple et scénario référent, face à la menace, le 16 mars 2020, le Président de la République s’adresse aux français, annonce les mesures de confinement et déclare un pays “en guerre”, une allocution qui sous-entend un engagement de longue durée face à l’événement et ses effets éminemment dramatiques. “La guerre a pour contrat la mort – le droit de la donner, la possibilité de la recevoir– là où la médecine a pour contrat la vie, le devoir de la maintenir, de la sauver, de la soigner”, nous préviennent les anthropologues : “si toute crise devient guerre, nous sommes condamnés à une guerre à perpétuité !”
Fermeture des écoles, préconisation de gestes barrière et confinement obligatoire pour une grande partie de la population, l’enjeu est de maîtriser autant que faire se peut la propagation du virus et d’“aplatir la courbe” pour ralentir la dynamique de l’épidémie, anticiper la surcharge des hôpitaux et limiter les impacts de la pandémie. “Restez chez vous” devient ainsi le mot d’ordre.
Malgré ces mesures, quelques jours suffisent pour que les matériels de protection et médical manquent. “Pourquoi la France manque-t-elle de masques de protection respiratoire ?” ou encore “comment la France a-t-elle sacrifiée sa principale usine de masques ?” Face au danger sanitaire, quelle sécurité ? Dernièrement, cette question était déjà en débat. “Moyens, effectifs, conditions de travail… Pourquoi tout l’hôpital public est en grève ce jeudi 14 novembre 2019 ?” Dans une situation d’urgence, de nouvelles formes d’organisation apparaissent : “on a court-circuité l’administration pour répartir entre public et privé”. Par des alliances inattendues et pour subvenir aux besoins matériaux, certaines entreprises redirigent leur activité : couturières et maisons de prêt-à-porter fabriquent des masques et des blouses ; distilleries et caves produisent et conditionnent du gel hydro-alcoolique.
Intensités, réactions en chaîne.
Alors qu’il semble que nous ayons consommé les ressources naturelles jusqu’au point de bascule où “le changement climatique va stimuler les pandémies et les autres menaces sur la santé”, c’est aussi l’intensité de nos modes de production qui est en cause. Les activités humaines peuvent protéger voire augmenter les services écosystémiques protecteurs ou bien les détruire : aujourd’hui encore, “la crise écologique crée la crise sanitaire”. Le “point épidémiologique du 24 mars 2020”, de Santé Publique France nous indique que les comorbidités, hypertension, diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, tabagisme… sont présentes dans 68% des cas en réanimation et dans 57% des décès. Cela résonne étrangement avec ce que l’on nous rapporte des effets de la “malbouffe” et du stress des cadences infernales, “burn out” de travailleurs “débordés” dans un système hautement pressurisé, un rythme accéléré par la dématérialisation des échanges, des mémoires saturées, là où réactivité et compétitivité sont de rigueur. “La pollution de l’air est un facteur aggravant, alertent médecins et chercheurs”. Si de nouvelles maladies apparaissent régulièrement depuis la révolution agricole, la fréquence de leur émergence s’accélère depuis le milieu du siècle dernier, alors que nos agricultures s’industrialisent et se mondialisent. Le coronavirus est “un boomerang qui nous revient dans la figure”.
Les chaînes de production, les flux de stockage et d’acheminement sont si tendus que des points de rupture apparaissent sur nombre d’approvisionnements stratégiques et notamment les médicaments : “le coronavirus met en lumière notre extrême dépendance à la Chine”. Des voix s’élèvent pour nous alerter : la pandémie met à genoux l’économie réelle et “la sortie du confinement ne sera pas du tout la fin de la crise”. Dans une entreprise, si 30% d’employés sont absents, ce n’est pas 30% de production en moins, mais la fermeture. Si elle est insérée dans une chaîne internationale, c’est la chaîne toute entière qui est rompue. Dans le même temps, “avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre” : dans l’agriculture et l’alimentation, la sécurité et la propreté, les transports et la logistique, les supermarchés et les marchés, le soin et l’assistance aux personnes, etc…
Fermeture des frontières : sécurité et dépendance alimentaires des territoires.
Alors que restaurants, cafés, et commerces, hors ceux délivrant des biens de première nécessité, sont invités à arrêter leur activité, et ce pour un temps indéterminé, de nouvelles réactions interviennent et une priorité émerge : “manger au temps du coronavirus”. Comme un réflexe conditionné par la peur de l’inconnu et par instinct de survie face à la menace de la mort, les supermarchés sont pris d’assaut. Les ventes explosent y compris celle des congélateurs qui sont multipliées par 10. Farines, pâtes, riz, conserves, surgelés sont stockés au détriment des produits frais et périssables.
Parallèlement, les frontières ferment et la circulation des denrées est bloquée. Une panique s’installe dans les foyers tout comme dans les établissements collectifs et interroge la capacité logistique de la chaîne de distribution. La menace est celle d’une pénurie et d’une restriction alimentaire. “Il faut éviter que cette crise de santé publique ne déclenche une crise alimentaire”. Pourtant, “l’ONU et l’OMC alertent sur un risque de crise alimentaire mondiale”. Les espaces urbains, fortement dépendants des espaces de production ruraux sont particulièrement concernés quand notre population mondiale est très majoritairement urbaine, une concentration vers les villes qui ne cesse d’augmenter et de s’accélérer. Les Nations Unies annoncent que “2,5 milliards de personnes de plus habiteront dans les villes d’ici 2050”, dans “un monde qui n’a jamais été aussi urbanisé”.
Les mondes agricoles deviennent, au même titre que le personnel soignant, des “héros du quotidien”. La nature des discours mute, donne une autre visibilité et exprime la nécessité de soutenir ce secteur pour son maintien. Mais quels modes de productions et quels modes d’organisation sont réellement concernés par ces approbations ? Conséquence des politiques d’intensification des rendements et de l’industrialisation de l’agriculture, alors que l’on observait une “baisse de la pollution et des émissions de CO2 en Ile-de-France depuis le début confinement”, on constate pourtant que “des épandages agricoles sont à l’origine de pics de pollution”. Néanmoins, il faut pouvoir nourrir une population toujours croissante quand, en France, les surfaces agricoles travaillées diminuent au même titre que la proportion d’agriculteurs et de main d’œuvre agricole. Certes, lorsque les exploitations choisissent de convertir leurs pratiques vers une agriculture biologique ou plus raisonnée, ce sont les rendements et donc les volumes qui décroissent au profit de la qualité nutritionnelle, du goût et des milieux de vie. La redécouverte et la recherche en agroécologie, très actives, nous permettent cependant d’espérer pour demain. Il n’y a pas de façon simple d’aborder le problème tant les modèles agricoles sont multiples et leurs pratiques diversifiées, une complexité que décrit la “sociologie des mondes agricoles”.
Quand les ouvriers agricoles font déjà défaut dans des campagnes qui se vident de leurs habitants, en ces temps de crise, les fermes, face aux difficultés d’un recrutement saisonnier de main d’œuvre extérieure au pays, manquent soudainement de bras. “La crise et le confinement mettent à l’épreuve le monde paysan” et, “derrière l’appel du ministre de l’agriculture, des Français rêvent d’un retour à la terre”. Ils mobilisent “leurs bras pour leur assiette”.
Alors qu’une méfiance est portée sur les marchés de plein-vent et que les hypermarchés sont propices à la transmission du virus par non-respect des distances sociales recommandées : quand “le risque de transmission du virus est bien plus important au supermarché qu’au marché”, comment les producteurs réagissent-ils à la crise ? Certains proposent un système de livraison à domicile. D’abord visibles par une promotion autonome via les réseaux sociaux pour témoigner du maintien de leur activité, le lien entre producteurs et consommateurs s’organise aussi sous la forme d’une plateforme relayée par les instances publiques comme pour la “Région Occitanie” qui géolocalise plus de 3 300 producteurs et commerçants. Dans le Gers, tout comme la ferme
« En Coton » l’a proposé à sa clientèle, la commune de Lagraulet-du-Gers organise son « marché-drive« . Ici est donc porté un regard sur les possibilités et les capacités, en situation d’urgence, d’adapter, de structurer et de diversifier les réseaux et les formes de distribution privilégiant la proximité producteur-consommateur. Mais une fois sortis du confinement, oubliera-t-on ? Quels modèles de gestion, de production et de consommation voudrions-nous voir résister ?
La question de la reterritorialisation de la production agricole et des systèmes alimentaires s’impose pour assurer une sécurité. “Relocaliser n’est plus une option mais une condition de survie de nos systèmes économiques et sociaux”. Quand les échanges mondiaux sont atteints, c’est aussi la question des “circuits courts et de proximité comme maintien du lien et preuve d’adaptation” qui s’affirme. Quels modèles seront le plus adaptés aux contraintes démographiques et écosystémiques ? Des questions que se posent également les membres de la “Chaire Unesco des Alimentations du monde” cherchant à “Décloisonner les disciplines scientifiques sur l’alimentation et soutenir les différents acteurs du changement pour promouvoir des systèmes alimentaires plus durables”. Interrogations qu’aborde également la recherche sur les “Systèmes Alimentaires du Milieu” comme réponse hybride à une transition nécessaire dès maintenant, mais longue à mettre en œuvre.
Se tourner à nouveau vers la qualité de notre eau, notre air et nos sols, y compris les sols urbains, est indispensable pour assurer réellement notre sécurité alimentaire. “Il y a de la vie dans nos sols urbains” ce qui nous amène à comprendre que la fertilité des sols dépend de la vie qu’ils abritent, de la biodiversité qu’ils maintiennent : cette bio-fertilité que des publications scientifiques commencent à lier à des productions alimentaires réellement nutritives et goûteuses. Quand la vigueur de la première “armée” à nous défendre des attaques extérieures : notre système immunitaire, dépend aussi de l’équilibre de notre écosystème intestinal ou “quand le microbiote rend service à l’organisme”, le lien entre alimentation saine et santé reste aussi à faire… Ce rôle préventif de l’alimentation au service de la santé est à prendre en compte quand le curatif fait défaut et que la santé est source de marchandisation. Parce qu’ils sont liés, ce sont donc aux échelles micro et macro que les écosystèmes vitaux internes et externes sont à protéger. Mais à l’heure des cultures hors-sol ? Le sol est un enjeu écosystémique mais aussi économique et social : paysannerie, coopération, firme ou encore investissements “extra-agricoles”, quels accès au sol, pour qui, comment et pour quels usages ?
Insécurités, inégalités.
Il y a près de quarante ans, entrait en vigueur la loi du 13 juillet 1982 dite “catastrophes naturelles”, qui les définit et donne un cadre à l’indemnisation de leurs victimes. Elle est formulée dans un contexte où “les inondations de 1981, 1982 et 1983” ont provoqué des dégâts matériels et humains considérables, notamment sur des aménagements récents. Si “la garantie catastrophe naturelle et les conditions d’indemnisation” sont encadrées par cette loi, c’est la mise en place de Plans de Prévention des Risques Naturels, politique publique qui en découle qui permet d’identifier les territoires où le risque est tolérable pour une installation des activités humaines en sécurité.
Après l’alerte de la grippe aviaire H5N1, maladie transmissible à l’homme qui a défrayé la chronique en 2006, l’épisode de grippe aviaire H5N8, non transmissible à l’homme, provoque des abattages massifs de volaille d’élevage en 2017. Les assurances s’interrogent sur “la pandémie, face sombre de la mondialisation”, conscientes des coûts potentiels immenses pour un phénomène possible dans un monde globalisé. Aujourd’hui, la question se pose de nouveau : “la pandémie est-elle couverte ?” Avec la pandémie de Covid-19, “les produits d’assurance dédiés fleurissent sur le marché”, puis “les assureurs répondent enfin présent, mais est-ce suffisant ?”
Tout ceci ouvre le débat sur nos agricultures : “les épidémies révèlent des déséquilibres que l’arbre et les paysages arborés contribuent à atténuer…” Quels modèles agricoles pourraient nous apporter cette sécurité ? Nous pouvons mesurer, en cet instant, à quel point nous sommes tous touchés, concernés et connectés : ruraux, urbains, d’ici ou d’ailleurs. La question concerne des pans entiers de nos choix d’aménagement du territoire, tout particulièrement nos modèles de production et de consommation agro-industriels, nos modes de vie métropolisés, ultra-connectés et globalisés. Le secteur privé pose l’éventualité de mettre en place un “régime d’assurance pandémie”. Au-delà des réponses qui se font dans l’urgence, quels débats de société, quelles politiques agricoles publiques nous permettraient de produire notre alimentation selon des modèles pour lesquels nous acceptons le risque et en situons le seuil de tolérance ? Ces questions nous concernent tous.
Si l’alimentation est, selon les études réalisées par l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail, un “grand marqueur des inégalités sociales”, là encore nous pourrions nous interroger sur l’accès à la nourriture et ouvrir une nouvelle boîte de pandore. Qui mange et qui mange “bien” et “bon” ? Les mouvements populaires débutés en novembre 2018, cri inédit de la rue, nous interpellaient déjà à propos de dysfonctionnements économiques, sociologiques et politiques. Là où une approche démocratique devrait permettre une alimentation et une sécurité sanitaire à tous et pour tous, où manger et se soigner sont nos besoins vitaux, nos biens communs doivent-ils en être réduits à la marchandisation ? Une alternative économique et politique est pourtant possible si nous choisissons, non plus de nous inscrire dans des rapports de rivalité et d’exclusivité, mais au contraire de “construire notre monde en commun”. Une façon de repenser l’accès aux biens mais aussi les règles collectives, d’aménager les territoires en “imbriquant les intérêts” tout en tenant compte des plus fragiles.
Dans l’agitation de la crise, contrastes et inégalités se percutent. Les gens de la rue n’ont “nulle part où aller”, malgré les solidarités (re)naissantes, le milieu associatif manque de bras, des hôtels désertés mettent à disposition leurs chambres vides. « Dans les squats de Bordeaux, « les personnes vont mourir de faim, pas du Covid-19 »« . Une partie des citadins se précipite vers leur “résidence secondaire” à la campagne. “ Restez en ville, ici, à la campagne on pollue, ça pue la merde et les coqs chantent !!! Vous vous souvenez ?? ” lit-on ironiquement sur les réseaux sociaux. A l’hôpital des “choix” sont faits sur les prioritaires à la vie, dans les “EHPAD, les personnes âgées sont décimées par le coronavirus”. Le confinement soulève aussi la question des victimes de violences conjugales, celle du mal logement ou encore des conditions de travail. Dans le BTP, dit-on, “nous n’avons pas envie d’envoyer nos salariés à l’abattoir” alors que le Ministère du Travail invite pour raison économique au maintien de l’activité en gardant les chantiers ouverts tandis qu’une majorité des syndicats et la Fédération Française du Bâtiment y sont opposés, et publie un “guide des bonnes pratiques”. Valérie, dans l’Aude, compagne d’un ouvrier en bâtiment, “ne trouve pas cela juste” et se révolte : la reprise du travail met sa famille en danger.
Télétravail pour certains, chômage partiel, congés imposés ou encore faillite en point d’interrogation pour d’autres, les inégalités grondent ici comme sur d’autres continents, « en Afrique de l’Ouest où vivre à distance des autres est un luxe » et où, faute de moyens en tout genre, « le coronavirus est une bombe à retardement« , ou encore au Brésil où “la peur du coronavirus atteint les favelas”.
Cette crise pandémique mondiale est-elle un scénario catastrophe voué à se reproduire ou une opportunité unique à saisir pour repenser ce que nous souhaitons ? Comment p(e)-(a)nser la “relance” ?
Se saisir d’une situation propice au changement.
Préparons la sortie du confinement en tirant les enseignements de ce point de rupture qui s’annonce comme un événement historique à échelle mondiale. Espérons que l’oubli ne devienne pas le prochain virus dévastateur et “imaginons les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise”. Quelles activités aujourd’hui interrompues n’aimerions-nous pas voir reprendre parce qu’elles sont nuisibles ? Au contraire, quelles sont celles que nous aimerions voir se développer parce qu’elles sont bénéfiques ? Quelles solutions imaginer pour transformer les sources de danger pour nos écosystèmes, les sociétés qui les habitent, les êtres et les choses qui les composent en un cercle vertueux ? Quels modèles adaptés à nos besoins vitaux et à nos réalités inventer et créer ? Imaginons des solutions dans ce cadre où l’aliénation n’est pas seulement biologique mais aussi écologique, sociologique, économique et politique : systémique, en somme ! Nous avons déjà les connaissances disponibles, nous en donnerons-nous la possibilité ?
Les philosophes nous mettent en garde : “l’épidémie montre clairement que l’état d’exception est devenu la condition normale”, “une société qui vit dans un état d’urgence permanent ne peut pas être une société libre”, “ nous vivons dans une société qui a sacrifié sa liberté aux prétendues “raisons de sécurité” et s’est ainsi condamnée à vivre sans cesse dans un état de peur et d’insécurité”. Il nous faut revenir à un temps citoyen pour “construire un comportement collectif de l’Etat de droit”. “Si nous ne nous saisissons pas de cette obligation […] d’inventer un autre modèle, nous ratifions le fait que nous sommes déments”. Les traces resteront indélébiles dans bien des familles et des cœurs. Cette crise sera-t-elle pour nous un commencement historique, de ceux qui produisent un avant et un après que les philosophes grecs nommaient déjà “kaïros” ? Dans d’autres temps sombres, face à l’adversité, avec la paix et la liberté comme finalités, la coopération s’appelait “Résistance”… Osons saisir cette opportunité avec réalisme, optimisme et courage.
Les contributeurs de la Revue de presse pour réfléchir pendant le confinement :
Alise Meuris est ingénieure horticole spécialisée en protection des végétaux et paysagiste d.p.l.g., Cabinet de curiosité | Marie-Ange Lasmènes est docteure en ethnologie, fondatrice du cabinet Paroles, Paroles spécialisé sur les mondes ruraux et agricoles | Hervé Goulaze est historien, paysagiste d.p.l.g., spécialisé dans les relations entre paysage et alimentation, et membe du Comité Slow Food pour la Biodiversité | Crédit photographique © Pierre Meyer | Le 5 avril 2020.
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